Normandie baroque
Grands motets normands
La musique baroque française n’a-t-elle sonné qu’à Versailles ? Assurément, non ! Au XVIIe siècle, la musique est partout dans le royaume : des plus petites chapelles de contrées éloignées aux cathédrales des grandes villes, des rues aux salons de l’aristocratie, des places de villages aux résidences royales. Le chant grégorien est la musique première de tous les offices, et la chanson de rue est certainement le genre profane le plus répandu. Pourtant, la musique contemporaine d’alors, la fine fleur de la création musicale ne se limite pas aux murs clos des palais royaux.
Alors, qui rencontre-t-on en Normandie au cours du XVIIe siècle qui aurait marqué de son empreinte l’histoire de la musique ? Si les compositeurs « connus » sont davantage liés au siècle des Lumières (Brossard notamment), au XVIIe siècle, plusieurs personnalités de premier plan sont liées de près à la Normandie. Il ne s’agit donc plus de savoir qui y serait né (on choisit rarement), mais de savoir qui y a réellement travaillé et qui les Normands du Grand Siècle ont réellement pu entendre.
Personnalité de premier plan, pour ne pas dire le plus grand compositeur de l’époque, Marc-Antoine Charpentier a été protégé par Marie, duchesse de Guise et de Joyeuse, princesse de Joinville. Restée célibataire au retour de son exil en Italie, cette princesse réunit autour d’elle des gens de lettres, des intellectuels de haute volée, amateurs d’art, et tous passionnés de musique. A la suite d’un deuil terrible (la disparition du petit François Joseph de Lorraine, dernier hériter de la puissance Maison de Guise, à l’âge de 5 ans), Mlle de Guise se rapproche de la mère du défunt enfant, sa belle-sœur Elisabeth d’Orléans, duchesse d’Alençon et première cousine de Louis XIV, dite Mme de Guise. Les séjours à Alençon sont réguliers (Mme de Guise y passe six mois de l’année), et l’on sait notamment que tout une cour se déplaçait pour ces quartiers normands. Plusieurs œuvres de Charpentier auraient été commandées, dont des Litanies de la Vierge et probablement des divertissements profanes, à l’occasion de ces résidences normandes, et exécutées à Alençon même par les musiciens des Guise. Comme celle du roi, la musique de Mlle de Guise est attachée à sa personne et non à un lieu : elle se doit donc de suivre les déplacements, au même titre que tous les serviteurs de la maison. Ainsi, au même titre que les nombreux tableaux que Mme de Guise a commandé pour son hôtel particulier d’Alençon (qu’elle lèguera pour en faire un hôpital), la présence régulière de cette princesse a entrainé dans son sillage une série de créations musicales ad hoc dont Charpentier fut le grand ordonnateur.
L’autre compositeur de premier plan lié à la Normandie fut Henry Dumont. Né en Belgique en 1610, sa carrière s’est essentiellement développée à Paris. Passionné de musique italienne, et après des études aux Pays-Bas, il est recruté par la paroisse St Paul, dans le Marais à Paris. On l’y remarque rapidement, et sa carrière se poursuit à la cour où il renouvelle totalement, avec Pierre Robert, la musique religieuse. Inventeur du grand motet à la française, qui influence Lully et Lalande, il produit une série d’œuvres pour le service de la chapelle royale qui ont marqué durablement l’histoire. Le roi Louis XIV offrira à Dumont à l’occasion de sa retraite, une édition royale de tout son répertoire.
Il sera également très actif pour contribuer au répertoire des abbayes de religieuses. C’est d’ailleurs par ce biais que le compositeur du roi découvre la Normandie : l’abbaye de Prémontrés Notre-Dame de Silly-en-Gouffern lui est attribuée en commende en 1667, accompagnée d’un revenu important. Il aura à cœur de suivre la gestion de l’abbaye d’assez près, la visitant régulièrement et passant contrat avec ses procureurs. Il reçoit également du roi une pension prise sur les revenus de l’abbaye de Saint-Évroult, également dans l’Orne et aujourd’hui en ruines.
Enfin, deux compositeurs de premier plan, bien que la notoriété les ait quittés depuis, ont été actifs en Normandie durant toute leur carrière. Le premier est l’organiste Jacques Boyvin, nommé titulaire de la prestigieuse tribune de la cathédrale de Rouen, auparavant occupée par le maitre Jehan Titelouze. Grand connaisseur de la facture d’orgues, il supervise la création d’un nouvel instrument pour la cathédrale et il est l’un des seuls au XVIIe siècle à laisser des règles de registration : c’est-à-dire de la combinaison des différents registres de l’instrument. Ses livres d’orgue figurent parmi les chefs d’œuvre de l’école d’orgue française. Nous en donnerons ici des transcriptions faites pour les violes, conformément à la tradition contemporaine.
Le dernier homme de ce programme, et probablement le plus oublié en dépit d’un talent majeur est Louis Le Prince. Né en 1637 à Ferrières St Hilaire dans l’Eure, il fut actif à Lisieux toute sa carrière. Il reste de lui une magnifique messe à 6 parties, représentative du style des cathédrales du XVIIe siècle, et d’une grande richesse contrapunctique. La musique recréée il y a quelques années sera redonnée ici sous sa forme originale donnant à entendre les grandes heures de la Cathédrale de Lisieux.