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Les Quarante heures à Rome

Au début du XVIe siècle nait en Italie une nouvelle liturgie spectaculaire. Dans la lignée des inventions catholiques de la contre-réforme, celle-ci met en scène l’exposition du Saint Sacrement dans une temporalité inouïe : pendant quarante heures en continu, le fidèle est invité à contempler la sainte hostie, dans une méditation sur la transsubstantiation du Christ, allant jusqu’à l’étourdissement. La symbolique du chiffre 40 draine également une série de références fortes, depuis le séjour du Christ au désert jusqu’au heures passées au tombeau. Pendant deux siècles, ces offices des quarante heures se déploient en Italie et en France, des petites églises alpines aux grandes paroisses parisiennes, comme un rempart symbolique et actif à la Réforme. 

Cette liturgie possède une efficacité redoutable et devient vite une carte à jouer efficace dans les luttes d’opinons religieuses qui déchainent cette époque. Le clergé n’hésite pas à pimenter cette méditation de prières particulières concernant les fidèles là où ils trouvent : récoltes, calamités naturelles, épidémies, secours en temps de guerre… On y ajoute des processions en ville, mais aussi de nombreux éléments profanes, tant et si bien que ces Quarantore sont considérées comme de la superstition, même par une partie du clergé catholique… Les Protestants, agités devant l’efficacité de ces 40 heures sur les fidèles, diabolisent ces cérémonies considérées comme de la sorcellerie pour les hérétiques. 

Instaurées à Rome dès 1550, à raison d’un office par mois, elles trouvent au moment du carnaval un écrin particulier : le clergé romain y voit l’occasion idéale de lutter contre la dispersion des âmes par le carnaval qui inonde la ville de divertissement. On met alors en scène cet office des Quarante heures, dans des proportions qui nous semblent aujourd’hui à peine imaginables…  

Cette liturgie use alors de tous les artifices possibles, mises en œuvre par un regista (généralement homme de lettres et de spectacles) : toiles peintes, tableaux illuminés, construction de décors transformant littéralement l’aspect de l’église, allégories, miroirs symboles de la vanité du monde disposés dans toute l’église, squelettes s’agitant dans l’obscurité, décors en extérieur (rochers en éruption, flammes, fontaines, mer déchaînée…). Le centre flamboyant de cette cérémonie consiste en un instrument quasi magique, sorte de machine théâtrale censée exploser de lumière : la fameuse machine des quarante heures. De la petite console en bois supportant quelques dizaines de bougies dans la plus petite paroisse, jusqu’aux grandes installations dessinées par le Bernin pour les grandes églises romaines, ces machines sont devenues un mythe d’autant qu’elles ont très majoritairement été détruites au fil des siècles.  

Que sait-on de la musique qu’on y jouait ? 

Sébastien Daucé a entamé l’enquête il y a trois ans, en concentrant ses recherches sur les Quarante heures à Rome au milieu du XVIIe siècle. Rejoint par le musicologue Huub van der Linden depuis 2022, ils écument les fonds des bibliothèques romaines, à la recherche du moindre indice concernant directement ces offices, la musique qui y a été jouée de façon certaine, les artistes qui ont pu y participer. Comme pour tout évènement éphémère, non commercial, les traces sont rares et souvent dissimulées. Néanmoins, après trois années de recherche, ils découvrent des musiques inouïes, dues la plupart du temps à des compositeurs totalement oubliés, mais dont les partitions évoquent directement ces grandes heures spectaculaires, où l’oreille devait participer du même étourdissement de l’âme que celui de l’œil, inondé de la lumière de ces quarante heures.   

Une création franco-italienne en mars 2025

L’ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé, s’associera à huit chanteurs italiens, sélectionnés sur audition à l’automne 24 à Rome. Le travail sera articulé entre Rome et Paris.  

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